Le tout premier cours de français au Relais

Qui était là ce premier mercredi 5 Décembre 2018 quand s’est mis en place ce que nous allions nommer « le cours de français du Relais » ?

Ibrahim, venu de Syrie, Hussein de Tchétchénie, Banké du Mali, Abdhallah et Mohamad du Soudan, tous demandeurs d’asile récemment arrivés et aussi Julius, venu de Tchécoslovaquie et Malik du Sénégal, accueillis au foyer depuis quelques semaines.

Tous venus d’ailleurs, par des chemins de traverse plus ou moins longs, plus ou moins éprouvants, et le désir de s’approprier un peu, beaucoup, davantage la langue française.

Mais avec des niveaux personnels d’appropriation du français très différents (de rien à une expression orale presque fluide) et des motivations et une disponibilité variables pour cet apprentissage.

Deux bénévoles et une caisse à outils

Nous, nous étions deux, avec notre caisse à outils pour cours de français destinés à des étrangers: des cartes (du monde, de l’Europe, de la France), un calendrier, un imagier, l’alphabet, les chiffres, et évidemment les premiers cours construits dans l’esprit et les méthodes du « FLE ».

Depuis, l’aventure se poursuit, le mercredi matin entre 10 h et midi dans la grande
salle du Relais à Montans.

Aux résidents du foyer se sont jointes des personnes accueillies au Cada et résidant dans un secteur géographique proche: Aichat, Jhanna et Diana venues de Tchétchénie et d’Ossétie ; Yordanos, Negussen et Filmon d’Erythrée ; Ali de Somalie ; Issanola et Haroun d’Afghanistan ; Marco du Vénézuela ; Nasser du Koweit ; Rahman du Bangladesh, et  d’autres encore: Youssef, deux jeunes femmes africaines… Certains à peine entrevus, d’autres très présents.

Un groupe s’est donc constitué, oscillant entre 5 et 12 personnes. Présence très régulière pour certains, moins constante pour d’autres : il faut répondre à la convocation de l’Ofi, aller à la Préfecture, à l’Ofpra, à la Cndea, il y a des jours avec des migraines, du stress, parce que la guerre a redoublé en Syrie, parce qu’il n’y a pas de nouvelles de la famille, parce que l’incertitude ou la peur, la colère ou le découragement envahissent le mental.

Peu à peu le déroulé s’instaure

Installés autour de la grande table de la salle de séjour du Foyer, nous avons peu à
peu installé un déroulé de séance :

1- Quand un nouvel arrivant rejoint le groupe, chacun se présente et la personne nouvellement arrivée est invitée à faire de même.
2- Ensuite, à l’aide d’un tableau conçu pour se repérer, on nomme le jour, le mois, l’année, on indique l’heure, on sélectionne le visuel de la météo et de la saison.
3 -Après ces rituels de retrouvailles, nous proposons un texte simple rédigé par nous concernant l’actualité ou un sujet commun au groupe. Il sert de base à des exercices
de lecture, à la reconnaissance des sons, à des mises en commun de compréhension, à des expressions libres.
4 – Nous proposons ensuite un déroulé plus formel autour d’un apprentissage fixé comme objectif du jour (autour du vocabulaire des transports par exemple) avec exercices, mimes, mises en situation.

Dans chaque séance : parler, lire, écrire, compter, communiquer… Un peu, beaucoup, selon la dynamique du jour.

L’évolution au bout d’une année

Aprés plus d’un an, s’est créé, en un lieu commun, un temps où s’élaborent des  apprentissages en même temps que se créent des relations, au sein d’un collectif un peu mouvant, fragile et solide à la fois. Comme si, au croisement de tous ces parcours singuliers, dans ce désir ou cette nécessité d’accès à la langue française, s’expérimentait une communauté de destin.

Nous sommes trois aujourd’hui (pas forcément présentes en même temps) à accompagner ce « cours de français ».

Chemin faisant, nous mesurons encore plus l’importance d’un accès à la langue pour ces personnes étrangères. Nous sommes un élément, parmi d’autres, de ce désenclavement par les mots.

Il est important de savoir se présenter, se situer dans le temps et l’espace, connaître les petits mots de tous les jours, savoir parler de sa santé, de ses émotions, exprimer le présent, le passé et le futur.

Autant de compétences pour l’acquisition desquelles les manuels et sites de FLE proposent un cadre auquel on peut ajouter le partage d’expériences et l’innovation.

Nous avons aussi et peut être surtout compris qu’apprendre une langue n’est pas qu’affaire de vocabulaire, de conjugaison et autres syntaxes.

Parce qu’on est « on est chez soi dans une langue », la langue est porteuse d’une culture et d’une vision singulière du monde. Dans les échanges qui se créent, dans les interactions du groupe, des échos résonnent et des mots font sens.

L’évocation de certains mots a créé le silence ou le clash. « Pleurer » fut de ceux là ,utilisé en première intention pour évoquer la diversité des sons « e » et « é » ; C’est quoi pleurer ?
Certains mots que nous pensions faire partie du lexique des migrants étaient inconnus par beaucoup: « étranger », « asile », « frontière ».

Un mot est bien connu: « papié » « papillé ». Non : « papiers ». Avoir ou ne pas avoir les papiers.

Etre, avoir : à côté de ces deux verbes dont la distinction s’expérimente avant de se conjuguer, Michael venu de l’Est prétend que le verbe le plus important à connaître quand on arrive en France est « attendre », à décliner au passé, au présent et au futur.

Maintenant muni d’un titre de séjour, il fait passer le message. Un autre drôle de mot avec un E , un X, un I, un L : « exil ». C’est quoi ça ?

On explique. Ce mot-là fait planer le silence dans le groupe. Ils ont cela en commun.

Le mot qui manque le plus

Une académicienne férue de linguistique disait récemment :

il faudrait toujours demander à un étranger quel est le mot de sa langue maternelle qui lui manque le plus.

Quand nous saurons demander cela, quand elles et eux trouveront ce mot et oseront répondre et nous l’expliqueront en français, nous aurons bien avancé.

Après, chacun poursuivra son aventure avec la langue française, les uns, ceux qui auront les papiers auront droit à des heures de cours, les autres, ceux qui découvriront le sigle à 4 lettres « OQTF » continueront leur route, avec ou sans français.

Nous, nous aurons tenté, comme beaucoup d’autres, de faire vivre le mot accueil.

Ça veut dire quoi « accueil » ?

Et nous aurons beaucoup voyagé et comme toujours dans les grands voyages, nous aurons fait de belles rencontres.

Eliane Riondé
Dominique Gabrielli
Patricia Rivière